Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/252

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 242 )

une aussi dans ses moyens. Si elle fait de grandes choses par des voies simples, elle opère aussi une œuvre unique par des moyens très-compliqués. Cette épargne[1] que l’on lui suppose est sans doute imaginaire ; tout annonce sa profusion, tout en elle produit et est produit ; l’existence d’un insecte est liée, comme cause et comme effet, à la conservation des mondes. La nature est une œuvre unique, composée d’opérations multiples ; elle fait un tout parfait par l’opposition de ses élémens, çomme son foible imitateur, l’artiste humain, construit un édifice symétrique par la ressemblance de ses parties. Illimitée, elle produit l’harmonie par l’opposition des contraires ; bornés, nous cherchons l’accord de l’ensemble

  1. Mille germes pourriront sur la terre, tandis qu’un seul y végétera ; mille insectes sont dévorés à leur naissance pour un qui obtient de vivre jusqu’à sa vieillesse naturelle. L’arbre isolé de l’arbre mâle qui devoit féconder ses germes, en produit-il moins les fleurs qui doivent toutes avorter. Il est de la prudence de l’homme d’employer soigneusement tous ses moyens, car, ce qu’il néglige est perdu pour lui ; mais est-il une molécule qui puisse se perdre dans la nature ; pourquoi supposer dans son inépuisable abondance, les précautions de notre indigence ?