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génie régénérateur. C’est sans doute une loi de la sagesse de vivre loin des affaires et des passions, de la fortune et £es hommes. La raison détrompée des erreurs sociales et des vanités humaines s’éloigne d’un monde qui la connoît peu, et préfère la muette solitude où règne la paix de la nature, aux demeures agitées que les passions tyrannisent. Mais si les circonstances permettent au sage de servir véritablement les hommes, il ne lui est plus permis de s’abandonner ainsi. Iroit-il dans sa prudence égoïste, spectateur indifférent des misères qu’il n’éprouveroit pas, livrer à leur déviation les mobiles humains qu’il pourroit diriger, et consumer pour lui les lumières qui dévoient dissiper les ténèbres publiques ; sa fière impassibilité insulteroit aux victimes qu’il ne soulageroit pas, et comme les dieux d’Épicure, loin de mériter les hommages des mortels, il ne vaudroit pas même le dernier des hommes utiles.

Ce qui caractérise surtout le vrai sage, c’est un sentiment profond d’ordre et d’harmonie. Toute erreur lui est pénible, tout mal l’afflige, toute injustice l’indigne ; par-tout où l’humanité souffre, il la défend ; il la venge par-tout où elle est opprimée. Sensible, généreux, im-