Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/293

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si tout bien n’est jamais qu’un terme moyen entre la négation et l’abus, cette perfectibilité sera suivie de dégénération ; son effort, après nous avoir élevé, doit nous dégrader, et le mal est au-delà comme avant la limite. Si nous pouvons abuser de ce penchant, le plus bel attribut, dit-on, de l’espèce humaine, mais qui par sa nature en est aussi lée plus dangereux ; si cet excès de nos désirs et cette erreur de notre raison sont évidemment possibles, ne conviendroit-il pas, dans l’impétuosité d’une course dont le terme touche aux abîmes, d’observer surtout la limite qu’il est bon d’atteindre et dangereux de franchir ? si nous ne la voyons plus au-delà du point où nous sommes parvenus, si notre marche devient incertaine, chancelante, pleine d’obstacles, de faux pas, et plus que jamais pénible, suspendons cette erreur aveugle, ouvrons les yeux malgré la répugnance d’un effroi qui plutôt devrait éveiller une attention nécessaire. Regardons en arrière ; si le but est passé, s’il est déjà loin de nous, nous obstinerons-nous à avancer encore vers ce terme trompeur que notre imagination nous promet toujours en nous éloignant toujours au risque de nous précipiter ? Notre fatigue même ne doit-elle