Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/306

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nos institutions, et si, en la nommant, nous sentons quels nous y devons être.

Je conserverai dans ma langue le sens des noms tudesques donnés aux monts du Grinderwald et de l’Hasli, que l’on apperçoit des rives de Bienne. Je dirai, le Pic de terreur, l’inaccessible, le Sommet des tempêtes[1], afin d’embellir ma demeure facile par l’opposition de ces Alpes colossales, éternel empire des désastreux hivers. Dès que je sentirai fraîchir le vent du Sud-Est, je croirai respirer dans leurs glacières immuables, et au moindre bruit lointain, à la chûte des rocs suspendus sur la côte voisine, je croirai entendre le vaste écroulement de leurs terribles avalanches.

Il n’est point de site plus fait pour la paix du cœur et le charme de l’imagination, qu’une terre circonscrite qui jouit d’un aspect vaste et imposant au sein des ondes solitaires. Tel est cet asile peut-être unique dans la populeuse Europe. Son horizon, limité vers les frimats polaires, s’étend sans bornes sous les feux du Midi, et se prolonge vers l’Orient sur les terres, de la Sarinne et de l’Aar. Ces contrées montueuses toutes couvertes de pâturages, de ver-

  1. Shreck-horn, Jungfrau-horn, Wetter-horn.