L’homme doit se borner à estimer les différences des choses dans leurs seuls rapports à son individu : alors il ne peut les sentir que d’une manière bonne, c’est-à-dire, convenable à sa conservation, en tant que partie nécessaire de la permanence du grand tout. Mais dès qu’il veut estimer les relations générales des choses y il manque de données. Nécessairement borné dans une sphère trop limitée, quoique plus étendue que sa sphère primitive, il juge toujours très-faussement, puisqu’il ne veut plus juger selon son être seul, et ne peut jamais juger selon l’universalité des êtres.
Pour estimer seulement deux êtres individuels, selon leurs rapports ou leurs diffé-
n’être étonné de rien : d’une ignorance qui commence à se connoitre d’être étonné de tout ; d’une fausse science de ne l’être plus ; d’une science plus vraie de l’être souvent, et d’une haute sagesse de ne plus pouvoir l’être. Ainsi se modifient les jugemens de l’homme, depuis l’instinct inepte d’animalité jusqu’à la raison du sage. L’homme stupide n’est étonné de rien, non parce qu’il ignore la raison des choses, mais parce qu’il ne soupçonne pas qu’il en soit une à connoître, et le vrai sage ne sauroit l’être, non pas qu’il connoisse toutes les parties de la nature, mais parce qu’il sait pressentir son ensemble et douter dans ses détails.