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Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/84

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tension à la fois délicieuse et funeste qui nous lie à tout ce qui est et fut hors de nous, qui rend toutes les altérations extérieures sensibles à nos organes, qui nous modifie selon la succession instantanée de toutes choses, qui nous fait éprouver leurs rapides mutations et vivre dans toute la nature ; cette sensibilité vaste, délicate et profonde, ce sens intérieur susceptible d’affections innombrables, consume et précipite l’existence qu’il agrandit, et afflige la vie qu’il devoit embellir.

La sensibilité n’est pas seulement l’émotion tendre ou douloureuse, mais la faculté donnée à l’homme parfaitement organisé, de recevoir des impressions profondes de tout ce qui peut agir sur des organes humains. L’homme vrai-

    estimables qui savent la regretter ; hommes heureux qui peuvent dire : quand l’ennui des villes, les misères des sociétés opulentes, et l’inconséquence du métier où je fus entraîné auront fatigué la moitié de ma vie ; je puis du moins là, derrière ces monts, dans leurs vallées profondes, retrouver les impressions de mes premiers ans, ma demeure antique, ma simplicité primitive, et une nature si simple et si sublime qu’elle accable de son imposante grandeur l’homme étranger à ces touches mâles, à ces formes sévères qu’il trouve horribles et gigantesques.