Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/85

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ment sensible[1], n’est pas celui qui s’attendrit, qui pleure ; mais l’homme qui reçoit des sensations là où les autres ne trouvent que des perceptions indifférentes. Une émanation, un jet de lumière, un son nuls pour tout autre, lui amènent des souvenirs ; une roche qui plombe sur les eaux, une branche qui projette son ombre sur le sable désert, lui donnent un sentiment d’asile, de paix, de solitude ; et la perpétuelle incertitude de son cœur est retracée dans cette eau toujours écoulée, et toujours reproduite, que le moindre souffle agite en ondes prolongées, et que bouleversent de fréquens orages. Si le soleil écarte les nues, dans la nature embellie, il ne voit que des biens, il ne sent que l’espérance. Si les nuées reviennent voiler le soleil, tout dans l’ombre se flétrit à ses yeux : l’avenir est chargé de maux, tout est sinistre, alarmant, le voilà détrompé, triste, accablé. Une fleur odorante

  1. Cette sensibilité universelle est inconnue à l’homme sentimental qui, dans la foiblesse de ses facultés et la sphère étroite de ses conceptions, reste insensible à presque toutes les impressions d’une nature qui lui est comme inaccessible, mais reçoit des seuls objets qui puissent agir sur lui des émotions immodérées, auxquelles il ne sauroit résister parce qu’il n’en a point d’autres à leur opposer.