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Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/99

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plus, et c’est notre plus triste erreur, nous avons changé en état de peine et d’impatience cet état en quelque sorte neutre, mais heureux en son apparente nullité, dans lequel s’écouloit presque toute la vie naturelle. Parmi nous il n’est plus de milieu entre jouir vivement, ce que la satiété, fruit de nos excès, nous rend d’ordinaire impossible ; ou souffrir d’une manière navrante, soit par les vains regrets, soit par les alarmes inconsidérées, soit par l’intolérable ennui, soit par les privations toujours inévitables à qui desire toujours immodérément. Ainsi l’homme social jouit aussi peu que souffroit peu l’homme de la nature ; il souffre davantage que celui-ci ne jouissoit ; et de plus, ce bien-être que donnoit l’existence simple sans plaisir déterminé y il l’a changé pour un état pénible, plus cruel quelquefois que tous les maux positifs, l’ennui de sa propre vie et le dégoût de toutes choses[1].

    restera plus de doute. Dans la somme des maux, la différence est si frappante de ceux que la nature a fait à ceux que l’homme s’est donné, qu’il est absolument superflu de justifier ce qui en est dit ici.

  1. Il ne reste à l’homme des sociétés d’autre ressource assurée contre ce terrible fléau, qu’une occu-