Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/103

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négliger plus longtemps. On me rappelle, on me presse, on me fait entendre que, puisque je reste tranquillement à la campagne, apparemment je puis me passer que tout cela finisse. Ils ne se doutent guère de la manière dont j’y vis : s’ils le savaient, ils diraient plutôt le contraire, ils croiraient que c’est par économie.

Je crois encore que même, sans cela, je me serais décidé à quitter la forêt. C’est avec beaucoup de bonheur que je suis parvenu à être ignoré jusqu’à présent. La fumée me trahirait ; je ne saurais échapper aux bûcherons, aux charbonniers, aux chasseurs ; je n’oublie pas que je suis dans un pays très-policé. D’ailleurs je n’ai pu prendre les arrangements qu’il faudrait pour vivre ainsi en toute saison ; il pourrait m’arriver de ne savoir trop que devenir pendant les neiges molles, pendant les dégels et les pluies froides.

Je vais donc laisser la forêt, le mouvement, l’habitude rêveuse, et la faible mais paisible image d’une terre libre.




Vous me demandez ce que je pense de Fontainebleau, indépendamment et des souvenirs qui pouvaient me le rendre plus intéressant, et de la manière dont j’y ai passé ces moments-ci.

Cette terre-là est peu de chose en général, et il faut aussi fort peu de chose pour en gâter les meilleurs recoins. Les sensations que peuvent donner les lieux auxquels la nature n’a point imprimé un grand caractère sont nécessairement variables et en quelque sorte précaires. Il faut vingt siècles pour changer une Alpe. Un vent du nord, quelques arbres abattus, une plantation nouvelle, la comparaison avec d’autres lieux, suffisent pour rendre des sites ordinaires très-différents d’eux-mêmes. Une forêt