Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/104

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remplie de bêtes fauves perdra beaucoup si elle n’en contient plus ; et un endroit qui n’est qu’agréable perdra plus encore si on le voit avec les yeux d’un autre âge.

J’aime ici l’étendue de la forêt, la majesté des bois dans quelques parties, la solitude des petites vallées, la liberté des landes sablonneuses ; beaucoup de hêtres et de bouleaux ; une sorte de propreté et d’aisance extérieure dans la ville ; l’avantage assez grand de n’avoir jamais de boues, et celui non moins rare de voir peu de misère ; de belles routes, une grande diversité de chemins, et une multitude d’accidents, quoique, à la vérité, trop petits et trop semblables. Mais ce séjour ne saurait convenir réellement qu’à celui qui ne connaît et n’imagine rien de plus. Il n’est pas un site d’un grand caractère auquel on puisse sérieusement comparer ces terres basses, qui n’ont ni vagues, ni torrents, rien qui étonne ou qui attache ; surface monotone, à qui il ne resterait plus aucune beauté si l’on en coupait les bois ; assemblage trivial et muet de petites plaines de bruyère, de petits ravins et de rochers mesquins uniformément amassés ; terre des plaines dans laquelle on peut trouver beaucoup d’hommes avides du sort qu’ils se promettent, et pas un satisfait de celui qu’il a.

La paix d’un lieu semblable n’est que le silence d’un abandon momentané ; sa solitude n’est point assez sauvage. Il faut à cet abandon un ciel pur du soir ; un ciel incertain mais calme d’automne, le soleil de dix heures entre les brouillards. Il faut des bêtes fauves errantes dans ces solitudes : elles sont intéressantes et pittoresques, quand on entend des cerfs bramer la nuit à des distances inégales, quand l’écureuil saute de branches en branches dans les beaux bois de Tillas avec son petit cri d’alarme. Sons isolés de l’être vivant ! vous ne peuplez point les solitudes, comme le dit mal l’expression vul-