Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/115

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dégoût ; tu l’as trouvée vaine, pesante ; dans une heure tu la sentiras plus tolérable : aura-t-elle donc changé ?

Elle n’a point de forme déterminée. Tout ce que l’homme éprouve est dans son cœur ; ce qu’il connaît est dans sa pensée. Il est tout entier dans lui-même.

Quelles pertes peuvent t’accabler ainsi ? Que peux-tu perdre ? Est-il hors de toi quelque chose qui soit à toi ? Qu’importe ce qui peut périr ? Tout passe, excepté la justice cachée sous le voile des choses inconstantes. Tout est vain pour l’homme, s’il ne s’avance point d’un pas égal et tranquille, selon les lois de l’intelligence.

Tout s’agite autour de toi, tout menace : si tu te livres à des alarmes, tes sollicitudes seront sans terme. Tu ne posséderas pas les choses qui ne sauraient être possédées, et tu perdras ta vie, qui t’appartenait. Ce qui arrive passe à jamais. Ce sont des accidents nécessaires, qui s’engendrent en un cercle éternel : ils s’effacent comme l’ombre imprévue et fugitive.

Quels sont tes maux ? des craintes imaginaires, des besoins d’opinion, des contrariétés d’un jour. Faible esclave ! tu t’attaches à ce qui n’est point, tu sers des fantômes. Abandonne à la foule trompée ce qui est illusoire, vain et mortel. Ne songe qu’à l’intelligence, qui est le principe de l’ordre du monde, et à l’homme, qui en est l’instrument : à l’intelligence qu’il faut suivre, à l’homme qu’il faut aider.

L’intelligence lutte contre la résistance de la matière, contre ces lois aveugles, dont l’effet inconnu fut nommé le hasard. Quand la force qui t’a été donnée a suivi l’intelligence, quand tu as servi à l’ordre du monde, que veux-tu davantage ? Tu as fait selon ta nature ; et qu’y a-t-il de meilleur pour l’être qui sent et qui connaît, que de subsister selon sa nature ?

Chaque jour, en naissant à une nouvelle vie, souviens-