Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/132

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à parer d’avance aux événements funestes, à donner à l’homme bon devenu malheureux ce qu’il a donné dans sa jeunesse à de plus heureux que lui, à remplacer la vache de cette mère de famille qui n’en avait qu’une, à envoyer du grain chez ce cultivateur dont le champ vient d’être grêlé, à réparer le chemin où des chars[1] ont versé, où les chevaux se blessent ; s’occuper selon ses facultés et ses goûts ; donner à ses enfants des connaissances, l’esprit d’ordre et des talents : tout cela vaut bien la misère gauchement prônée par la fausse sagesse.

Le mépris de l’or, inconsidérément recommandé dans l’âge qui en ignore la valeur, a souvent ôté à des hommes supérieurs un des plus grands moyens, et peut-être le plus sûr, de ne point vivre inutiles comme la foule.

Combien de jeunes personnes, dans le choix d’un maître, se piquent de compter les biens pour rien, et se précipitent ainsi dans tous les dégoûts d’un sort précaire, et dans l’ennui habituel qui seul contient tant de maux !

Un homme sensé, tranquille, et qui méprise un caractère folâtre, se laisse séduire par quelque conformité dans les goûts ; il abandonne au vulgaire la gaieté, l’humeur riante, et même la vivacité, l’activité ; il prend une femme sérieuse, triste, que la première contrariété rend mélancolique, que les chagrins aigrissent, qui avec l’âge devient taciturne, brusque, impérieuse, austère, et qui s’attachant avec humeur à se passer de tout, et se passant bientôt de tout par humeur et pour en donner aux autres la leçon, rendra toute sa maison malheureuse.

Ce n’était pas dans un sens trivial qu’Épicure disait :

  1. Le mot char n’est pas usité en ce sens, du moins dans la plus grande partie de la France, où les charrettes à deux roues sont plus en usage. Mais, en Suisse et dans plusieurs autres endroits, on nomme ainsi les chariots légers et les voitures de campagne à quatre roues.