Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/142

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rien oublié à leur dire, et d’avoir eu avec eux une parfaite et entière communication. »

Cette entière communication avec l’être moral semblable à nous, et mis auprès de nous dans des rapports respectés, semble une partie essentielle du rôle qui nous est départi pour l’emploi de notre durée. Nous sommes mécontents de nous, quand, l’acte étant fini, nous avons perdu sans retour le mérite de l’exécution dans la scène qui nous était confiée.

Ceci prouve, me direz-vous peut-être, que nous pressentons une autre durée. Je vous l’accorde, et nous conviendrons aussi que le chien, qui ne veut plus alimenter sa vie parce que son maître a perdu la sienne, et qui s’élance dans le bûcher embrasé où l’on consume son corps, veut mourir avec lui parce qu’il croit fermement à l’immortalité, et qu’il a la certitude consolante de le rejoindre dans un autre monde.

Je n’aime pas à rire de ce qu’on veut mettre à la place du désespoir, et cependant j’allais plaisanter si je ne m’étais retenu. La confiance dont l’homme se nourrit dans les opinions qu’il aime, et où il ne peut rien voir, est respectable, puisqu’elle diminue quelquefois l’amertume de ses misères ; mais il y a quelque chose de comique dans cette inviolabilité religieuse dont il prétend l’environner. Il n’appellerait pas sacrilège celui qui assurerait qu’un fils peut sans crime égorger son père ; il le conduirait à la maison des fous, et ne se fâcherait pas : mais il devient furieux si on ose lui dire que peut-être il mourra comme un chêne ou un renard, tant il a peur de le croire. Ne saurait-il s’apercevoir qu’il prouve sa propre incertitude ? Sa foi est aussi fausse que celle de certains dévots qui crieraient à l’impiété si l’on doutait qu’un poulet mangé le vendredi pût nous plonger dans l’enfer, et qui pourtant en mangent en secret ; tant il y a de proportion entre