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sois consumé d’ennui, et je n’ai pas à craindre d’ajouter au sien. Notre situation est fixe, et tellement, que je ne changerai pas la mienne en allant chez elle dès qu’elle aura quitté la campagne.

Je me figure déjà avec quelle grâce riante et fatiguée elle reçoit une société qui l’excède, et avec quelle impatience elle attend le lendemain des jours de plaisir.

Je vois tous les jours à peu près les mêmes ennuis. Les concerts, les soirées, tous ces passe-temps sont le travail des prétendus heureux ; il leur est à charge, comme celui de la vigne l’est à l’homme de journée, et davantage : il ne porte pas avec lui sa consolation, il ne produit rien.

LETTRE XLI.

Lyon, 18 mai, VI.

On dirait que le sort s’attache à ramener l’homme sous la chaîne qu’il a voulu secouer malgré le sort. Que m’a-t-il servi de tout quitter pour chercher une vie plus libre ? Si j’ai vu des choses selon ma nature, ce ne fut qu’en passant, sans en jouir, et comme pour redoubler en moi l’impatience de les posséder.

Je ne suis point l’esclave des passions, je suis plus malheureux : leur vanité ne me trompera point ; mais enfin ne faut-il pas que la vie soit remplie par quelque chose ? Quand l’existence est vide, peut-elle satisfaire ? Si la vie du cœur n’est qu’un néant, agité, ne vaut-il pas mieux la laisser pour un néant plus tranquille ? Il me semble que l’intelligence cherche un résultat ; je voudrais que l’on me dît quel est celui de ma vie. Je veux quelque chose qui voile et entraîne mes heures : je ne saurais toujours les sentir rouler si pesamment sur moi, seules et lentes, sans désirs, sans illusions, sans but. Si je ne puis con-