Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/159

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vie ; mais c’est en quelque sorte un instinct d’habitude, il ne prouve nullement que la vie soit bonne. L’être, par cela qu’il existe, doit tenir à l’existence ; la raison seule peut lui faire voir le néant sans effroi. Il est remarquable que l’homme, dont la raison affecte tant de mépriser l’instinct, s’autorise de ce qu’il a de plus aveugle pour justifier les sophismes de cette même raison.

On objectera que l’impatience habituelle tient à l’impétuosité des passions, et que le vieillard s’attache à la vie à mesure que l’âge le calme et l’éclaire. Je ne veux pas examiner en ce moment si la raison de l’homme qui s’éteint vaut plus que celle de l’homme dans sa force ; si chaque âge n’a pas sa manière de sentir convenable alors, et déplacée dans d’autres temps ; si enfin nos institutions stériles, si nos vertus de vieillards, ouvrage de la caducité, du moins dans leur principe, prouvent solidement en faveur de l’âge refroidi. Je répondrais seulement : Toute chose mélangée est regrettée au moment de sa perte ; une perte sans retour n’est jamais vue froidement après une longue possession : notre imagination, que nous voyons toujours dans la vie abandonner un bien dès qu’il est acquis, pour fixer nos efforts sur celui qui nous reste à acquérir, ne s’arrête dans ce qui finit que sur le bien qui nous est enlevé, et non sur le mal dont nous sommes délivrés.

Ce n’est pas ainsi que l’on doit estimer la valeur de la vie effective pour la plupart des hommes. Mais chaque jour de cette existence dont ils espèrent sans cesse, demandez-leur si le moment présent les satisfait, les mécontente, ou leur est indifférent ; vos résultats seront sûrs alors. Toute autre estimation n’est qu’un moyen de s’en imposer à soi-même ; et je veux mettre une vérité claire et simple à la place des idées confuses et des sophismes rebattus.