Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/160

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L’on me dira sérieusement : Arrêtez vos désirs ; bornez ces besoins trop avides ; mettez vos affections dans les choses faciles. Pourquoi chercher ce que les circonstances éloignent ? Pourquoi exiger ce dont les hommes se passent si bien ? Pourquoi vouloir des choses utiles ? tant d’autres n’y pensent même pas ! Pourquoi vous plaindre des douleurs publiques ? Voyez-vous qu’elles troublent le sommeil d’un seul heureux ? Que servent ces pensers d’une âme forte, et cet instinct des choses sublimes ? Ne sauriez-vous rêver la perfection sans y prétendre amener la foule qui s’en rit, tout en gémissant ; et vous faut-il, pour jouir de votre vie, une existence grande ou simple, des circonstances énergiques, des lieux choisis, des hommes et des choses selon votre cœur ? Tout est bon à l’homme, pourvu qu’il existe ; et partout où il peut vivre, il peut vivre content. S’il a une bonne réputation, quelques connaissances qui lui veuillent du bien, une maison et de quoi se présenter dans le monde, que lui faut-il davantage ? — Certes, je n’ai rien à répondre à ces conseils qu’un homme mûr me donnerait, et je les crois très-bons, en effet, pour ceux qui les trouvent tels.

Cependant je suis plus calme maintenant, et je commence à me lasser de mon impatience même. Des idées sombres, mais tranquilles, me deviennent plus familières. Je songe volontiers à ceux qui, le matin de leurs jours, ont trouvé leur éternelle nuit ; ce sentiment me repose et me console, c’est l’instinct du soir. Mais pourquoi ce besoin des ténèbres ? pourquoi la lumière m’est-elle pénible ? Ils le sauront un jour ; quand ils auront changé, quand je ne serai plus.

Quand vous ne serez plus !... Méditez-vous un crime ? — Si, fatigué des maux de la vie, et surtout désabusé de ses biens, déjà suspendu sur l’abîme, marqué pour le moment suprême, retenu par l’ami, accusé par le mo-