Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/224

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même sous la froide neige, et sous le soleil des étés. Elle tourne avec la terre ; elle tourne immobile parmi tous ces mondes. La cigale s’agite pendant le repos de l’homme, elle mourra, le sapin tombera ; les mondes changeront. Où seront nos livres, nos renommées, nos craintes, notre prudence, et la maison que l’on voudrait bâtir, et le blé que la grêle n’a pas couché ? Pour quel temps amassez-vous ? pour quel siècle est votre espérance ? Encore la révolution d’un astre, encore une heure de sa durée, et tout ce qui est vous ne sera plus ; tout ce qui est vous sera perdu, plus anéanti, plus impossible que s’il n’eût jamais été. Celui dont le malheur vous accable sera mort ; celle qui est belle sera morte. Le fils qui vous survivra sera mort.

Vous avez rassemblé les moyens des arts[1] ; vous voyez sur la lune comme si elle était près de vos télescopes ; vous y cherchez du mouvement ; il n’y en a point : il y en a eu, mais elle est morte. Et le lieu, le globe où vous êtes, sera mort comme elle. A quoi vous arrêtez-vous ? Vous auriez pu faire un mémoire pour votre procès, ou finir une ode dont on eût parlé demain au soir. Intelligence des mondes ! qu’ils sont vains les soins de l’homme ! Quelles risibles sollicitudes pour des incidents d’une heure ! Quels tourments insensés pour arranger les détails de cette vie qu’un souffle du temps va dissiper ! Regarder, jouir de ce qui passe, imaginer, s’abandonner : ce serait là tout notre être. Mais, régler, établir, connaître, posséder ; que de démence !

Cependant celui qui ne veut point s’inquiéter pour des jours incertains n’aura pas le repos qui laisse l’homme à

  1. On est enfin parvenu au point d’amener la lune à une proximité apparente plus grande que celle des montagnes que dans certains climats l’œil nu distingue parfaitement, quoiqu’elles soient éloignées de plus d’une journée de marche.