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très-peu entre elles, ne s’aiment point du tout, et se font dévotes, parce qu’elles ne connaissent que l’église où elles puissent aller.

LETTRE LIX.

Du château de Chupru, 22 mai, VIII.

A deux heures, nous étions déjà dans le bois à la recherche des fraises. Elles couvraient les pentes méridionales : plusieurs étaient à peine formées, mais un grand nombre avaient déjà les couleurs et le parfum de la maturité. La fraise est une des plus aimables productions naturelles : elle est abondante et salubre jusque sous les climats polaires ; elle me paraît dans les fruits ce qu’est la violette parmi les fleurs, suave, belle et simple. Son odeur se répand avec le léger souffle des airs, lorsqu’il s’introduit, par intervalles, sous la voûte des bois pour agiter doucement les buissons épineux et les lianes qui se soutiennent sur les troncs élevés. Elle est entraînée dans les ombrages les plus épais avec la chaude haleine du sol plus découvert où la fraise mûrit ; elle vient s’y mêler à la fraîcheur humide, et semble s’exhaler des mousses et des ronces. Harmonies sauvages ! vous êtes formées de ces contrastes.

Tandis que nous sentions à peine le mouvement de l’air dans la solitude fraîche et sombre, un vent orageux passait librement sur la cime des sapins ; leurs branches frémissaient d’un ton pittoresque en se courbant contre les branches qui les heurtaient. Quelquefois les hautes tiges se séparaient dans leur balancement, et l’on voyait alors leurs têtes pyramidales éclairées de toute la lumière du jour et brûlées de ses feux, au-dessus des ombres de cette terre silencieuse où s’abreuvaient leurs racines.

Quand nos corbeilles furent remplies, nous quittâmes