Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/270

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que ceci ne vous inquiète pas ; rappelez-vous qu’il est sans prétentions. Il ne serait pas avec moi s’il avait de l’esprit d’antichambre.

C’est surtout la mélodie[1] des sons qui, réunissant l’étendue sans limites précises à un mouvement sensible mais vague, donne à l’âme ce sentiment de l’infini qu’elle croit posséder en durée et en étendue.

J’avoue qu’il est naturel à l’homme de se croire moins borné, moins fini, de se croire plus grand que sa vie présente, lorsqu’il arrive qu’une perception subite lui montre les contrastes et l’équilibre, le lien, l’organisation de l’univers. Ce sentiment lui paraît comme une découverte d’un monde à connaître, comme un premier aperçu de ce qui pourrait lui être dévoilé un jour.

J’aime les chants dont je ne comprends point les paroles. Elles nuisent toujours pour moi à la beauté de l’air, ou du moins à son effet. Il est presque impossible que les idées qu’elles expriment soient entièrement d’accord avec celles que me donnent les sons. D’ailleurs l’accent allemand a quelque chose de plus romantique. Les syllabes sourdes et indéterminées ne me plaisent point dans la musique. Notre e muet est désagréable quand le chant force à le faire sentir ; et on prononce presque toujours d’une manière fausse et rebutante la syllabe inutile des rimes féminines, parce qu’en effet on ne saurait guère la prononcer autrement.

J’aime beaucoup l’unisson de deux ou de plusieurs voix ; il laisse à la mélodie tout son pouvoir et toute sa simpli -

  1. La mélodie, si l’on prend cette expression dans toute l’étendue dont elle est susceptible, peut aussi résulter d’une suite de couleurs ou d’une suite d’odeurs. La mélodie peut résulter de toute suite bien ordonnée de certaines sensations, de toute série convenable de ces effets, dont la propriété est d’exciter en nous ce que nous appelons exclusivement un sentiment.