Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/294

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j’aurais voulu m’y hasarder, je n’aurais pas eu les talents nécessaires. Cependant celui qui, avec cette industrie, réussit à faire subsister sa famille, sans s’avilir et sans manquer à ses engagements, est sans doute un homme louable. Pour moi, je ne serais guère capable que de me résoudre à manquer de tout, comme si c’était une loi de la nécessité. Je chercherai toujours à employer le mieux possible des moyens suffisants, ou à rendre tels, par mes privations personnelles, ceux qui ne le seraient pas sans cela. Je ferais jour et nuit des choses convenables, réglées et assurées, pour donner le nécessaire à un ami, à un enfant ; mais entreprendre dans l’incertitude, mais rendre suffisants, à force d’industrie hasardée, des moyens très-insuffisants par eux-mêmes, c’est ce que je ne saurais espérer de moi.

Il résulte d’une telle disposition ce grand inconvénient, que je ne puis vivre bien, sagement, et dans l’ordre, ni même suivre mes goûts, ou songer à mes besoins, qu’avec des facultés à peu près certaines ; et que si je suis peut-être au nombre des hommes capables d’user bien de ce qu’on appelle une grande fortune, ou même d’une médiocrité facile, je suis aussi du nombre de ceux qui, dans le dénûment, se trouvent sans ressources et ne savent faire autre chose que d’éviter la misère, le ridicule ou la bassesse, quand le sort ne les place pas lui-même au-dessus du besoin.

La prospérité est plus difficile à soutenir que l’adversité, dit-on généralement. Mais c’est le contraire pour l’homme qui n’est pas soumis à des passions positives, qui aime à faire bien ce qu’il fait, qui a pour premier besoin celui de l’ordre, et qui considère plutôt l’ensemble des choses que leurs détails.

L’adversité convient à un homme ferme et un peu enthousiaste, dont l’âme s’attache à une vertu austère, et dont