Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/295

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heureusement l’esprit n’en voit pas l’incertitude[1]. Mais l’adversité est bien triste, bien décourageante pour celui qui n’y trouve rien à son usage, parce qu’il voudrait faire bien, et que pour faire il faut pouvoir, parce qu’il voudrait être utile, et que le malheureux trouve peu d’occasions de l’être. N’étant pas soutenu par le noble fanatisme d’Épictète, il sait bien résister au malheur, mais mal à une vie malheureuse, dont il se rebute enfin, sentant qu’il y perd tout son être.

L’homme religieux, et surtout celui qui est certain d’un Dieu rémunérateur, a un grand avantage : il est bien facile de supporter le mal quand le mal est le plus grand bien que l’on puisse éprouver. J’avoue que je ne saurais voir ce qu’il y a d’étonnant dans la vertu d’un homme qui lutte sous l’œil de son Dieu, et qui sacrifie des caprices d’une heure à une félicité sans bornes et sans terme. Un homme tout à fait persuadé ne peut faire autrement, à moins qu’il ne soit en délire. Il me parait démontré que celui qui succombe à la vue de l’or, à la vue d’une belle femme ou des autres objets des passions terrestres, n’a pas la foi. Il est évident qu’il ne voit bien que la terre : s’il voyait avec la même certitude ce ciel et cet enfer qu’il se rappelle quelquefois, s’ils étaient là, comme les choses de la terre, présents dans sa pensée, il serait impossible qu’il succombât jamais. Où est le sujet qui, jouissant de sa raison, ne sera pas dans l’impuissance de contrevenir à l’ordre de son prince, s’il lui a dit : Vous voilà dans mon harem, au milieu de toutes mes femmes ; pendant cinq minutes n’approchez d’aucune : j’ai l’œil sur vous ; si vous êtes fidèle pendant ce peu de temps, tous ces plaisirs et d’autres vous seront permis ensuite pendant trente années d’une prospérité constante ? Qui ne voit que cet

  1. L’homme de bien est inébranlable dans sa vertu sévère ; l’homme à systèmes cherche souvent des vertus austères.