Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/296

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homme, quelque ardent qu’on le suppose, n’a pas même besoin de force pour résister pendant un temps si court ? il n’a besoin que de croire à la parole de son prince. Assurément les tentations du chrétien ne sont pas plus fortes, et la vie de l’homme est bien moins devant l’éternité que cinq minutes comparées à trente années : il y a l’infini de distance entre le bonheur promis au chrétien, et les plaisirs offerts au sujet dont je parle ; enfin la parole du prince peut laisser quelque incertitude, celle de Dieu n’en peut laisser aucune. Si donc il n’est pas démontré que sur cent mille de ceux qu’on appelle vrais chrétiens, il y en a tout au plus un qui ait presque la foi, il me l’est à moi que rien au monde ne peut être démontré.

Pour les conséquences de ceci, vous les trouverez très-simples ; et je veux revenir aux besoins que donne l’habitude des fermentés. Il faut vous rassurer et achever de vous dire comment vous pouvez m’en croire, quoique je promette de me réformer précisément dans le temps que je me contiens le moins, et que je donne à l’habitude une force plus grande.

Il y a encore un aveu à vous faire auparavant, c’est que je commence à perdre enfin le sommeil. Quand le thé m’a trop fatigué, je n’y connais d’autre remède que le vin, je ne dors que par ce moyen, et voilà encore un excès : il faut bien en prendre autant qu’il se puisse sans que la tête en soit affectée visiblement. Je ne sais rien de plus ridicule qu’un homme qui prostitue sa pensée devant des étrangers, et dont on dit : Il a bu, en voyant ce qu’il fait, ce qu’il dit. Mais pour soi-même, rien n’est plus doux à la raison que de la déconcerter un peu quelquefois. Je prétends encore qu’un demi-désordre serait autant à sa place dans l’intimité, qu’un véritable excès devient honteux devant les hommes et avilissant dans le secret même.

Plusieurs des vins de Lavaux que l’on recueille ici près,