Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/322

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vendit la femme qui l’avait aimé, qui l’avait sauvé, qui l’avait nourri, et la vendit davantage en apprenant qu’il l’avait rendue enceinte (M).

Mais quand j’aurais vu ces choses et beaucoup d’autres ; quand je vous dirais : Je les ai vues ; hommes trompés et construits pour l’être ! ne les savez-vous pas ? en êtes-vous moins fanatiques de vos idées étroites ? en avez-vous moins besoin de l’être pour qu’il vous reste quelque décence morale ?

Non : ce n’est que songe ! Il vaut mieux acheter de l’huile en gros, la revendre en détail, et gagner deux sous par livre[1].

Ce que je dirais à l’homme qui pense n’en aurait pas une autorité beaucoup plus grande. Nos livres peuvent suffire à l’homme impartial, toute l’expérience du globe est dans nos cabinets. Celui qui n’a rien vu par lui-même, et qui est sans préventions, sait mieux que beaucoup de voyageurs. Sans doute, si cet homme d’un esprit droit, si cet observateur avait parcouru le monde, il saurait mieux encore ; mais la différence ne serait pas assez grande pour être essentielle : il pressent dans les rapports des autres les choses qu’ils n’ont pas senties, mais qu’à leur place il eût vues.

Si les Anacharsis, les Pythagore, les Démocrite vivaient maintenant, il est probable qu’ils ne voyageraient pas ; car tout est divulgué. La science secrète n’est plus dans un lieu particulier ; il n’y a plus de mœurs inconnues, il n’y a plus d’institutions extraordinaires, il n’est plus indispensable d’aller au loin. S’il fallait tout voir par soi-même, maintenant que la terre est si grande et la science si compliquée, la vie entière ne suffirait ni à la multiplicité des choses qu’il faudrait étudier, ni à l’étendue des

  1. Allusion à Démocrite apparemment.