Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/35

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biches, des feuilles rousses qui commencent à tomber ; lorsque je vous dis : Voilà une place qui ressemble bien à celle où mon père s’arrêta, il y a dix ans, pour jouer au petit palet avec moi, et où il laissa son couteau de chasse, que le lendemain on ne put jamais retrouver ; lorsque vous me dites : L’endroit où nous venons de traverser le ruisseau eût bien plu au mien. Dans les derniers temps de sa vie, il se faisait conduire une grande lieue de la ville dans un bois bien épais, où il y avait quelques rochers et de l’eau ; alors il descendait de la calèche, et il allait, quelquefois seul, quelquefois avec moi, s’asseoir sur un grès : nous lisions les Vies des Pères du désert. Il me disait : Si dans ma jeunesse j’étais entré dans un monastère, comme Dieu m’y appelait, je n’aurais pas eu tous les chagrins que j’ai eus dans le monde, je ne serais pas aujourd’hui si infirme et si cassé ; mais je n’aurais point de fils, et, en mourant, je ne laisserais rien sur la terre...... Et maintenant il n’est plus ! Ils ne sont plus !

Il y a des hommes qui croient se promener, à la campagne, lorsqu’ils marchent en ligne dans une allée sablée. Ils ont dîné ; ils vont jusqu’à la statue, et ils reviennent au trictrac. Mais quand nous nous perdions dans les bois du Forez, nous allions librement et au hasard. Il y avait quelque chose de solennel à ces souvenirs d’un temps déjà reculé, qui semblaient venir à nous dans l’épaisseur et la majesté des bois. Comme l’âme s’agrandit lorsqu’elle rencontre des choses belles, et qu’elle ne les a pas prévues ! Je n’aime point que ce qui lui appartient soit préparé et réglé : laissons l’esprit chercher avec ordre, et symétriser ce qu’il travaille. Pour le cœur, il ne travaille pas ; et si vous lui demandez de produire, il ne produira rien : la culture le rend stérile. Vous vous rappelez des lettres que R... écrivait à L... qu’il appelait son ami. Il y avait bien de l’esprit dans ces lettres, mais aucun aban-