Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/359

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exigeant, quand la sueur du front, quand l’air vicié par la foule ont remplacé le désir par la gêne, et la curiosité par l’impatience.

Quelle manière adopterai-je ? Aucune. J’écrirai comme on parle, sans y songer ; s’il faut faire autrement, je n’écrirai point. Il y a cette différence, néanmoins, que la parole ne peut être corrigée, au lieu que l’on peut ôter des choses écrites ce qui choque à la lecture.

Dans les temps moins avancés, les poètes et les sophistes lisaient leurs livres aux assemblées des peuples. Il faut que les choses soient lues selon la manière dont elles ont été faites, et qu’elles soient faites selon qu’elles doivent être lues. L’art de lire est comme celui d’écrire. Les grâces et la vérité de l’expression dans la lecture sont infinies comme les modifications de la pensée ; je conçois à peine qu’un homme qui lit mal puisse avoir une plume heureuse, un esprit juste et vaste. Sentir avec génie, et être incapable d’exprimer, paraît aussi incompatible que d’exprimer avec force ce qu’on ne sent pas.

Quelque parti que l’on prenne sur la question, si tout a été ou n’a pas été dit en morale, on ne saurait conclure qu’il n’y ait plus rien à faire pour cette science, la seule de l’homme. Il ne suffit pas qu’une chose soit dite, il faut qu’elle soit publiée, prouvée, persuadée à tous, universellement reconnue. Il n’y a rien de fait tant que la loi expresse n’est pas soumise aux lois de la morale[1], tant que l’opinion ne voit pas les choses sous leurs véritables rapports.

  1. On trouve le passage suivant, qui m’a paru curieux, dans des lettres publiées par un nommé Matthew :
    « C’est une suite nécessaire et du degré de dépravation où en est arrivée l’espèce humaine, et de l’état actuel de la société en général, qu’il y ait beaucoup d’institutions également incompatibles avec le christianisme et la morale. »
    (Voyage à la riv. de Sierra-Leone.)