Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/371

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pas de si loin : dans les fentes de mes rochers, où je cherche la nuit comme le triste chat-huant, l’étendue conviendrait mal à mon œil et à ma pensée. Le regret de ne pas être avec vous s’accroît tous les jours. Je ne me le reproche pas, j’en suis plutôt surpris ; je cherche pourquoi, je ne trouve rien, mais je vous dis que je n’ai pu faire autrement. J’irai un jour ; cela est résolu. Je veux vous voir chez vous : je veux rapporter de là le secret d’être heureux, quand rien ne manque que nous-mêmes.

Je verrai en même temps le pont du Gard et le canal de Languedoc. Je verrai la Grande-Chartreuse, en allant, et non en rentrant ici ; et vous savez pourquoi. J’aime mon asile ; je l’aimerai tous les jours davantage, mais je ne me sens plus assez fort pour vivre seul. Nous allons parler d’autre chose.

Tout sera achevé dans très-peu de jours. En voici déjà quatre que je couche dans mon appartement.

Quand je laisse mes fenêtres ouvertes pendant la nuit, j’entends distinctement l’eau de la fontaine tomber dans le bassin : lorsqu’un peu de vent l’agite, elle se brise sur les barres de fer destinées à soutenir les vases que l’on veut remplir. Il n’est guère d’accidents naturels aussi romantiques que le bruit d’un peu d’eau tombant sur l’eau tranquille, quand tout est nocturne, et qu’on distingue seulement dans le fond de la vallée un torrent qui roule sourdement derrière les arbres épais, au milieu du silence.

La fontaine est sous un grand toit, comme je pense vous l’avoir dit : le bruit de sa chute est moins agreste que si elle était en plein air ; mais il est plus extraordinaire et plus heureux. Abrité sans être enfermé, reposant dans un bon lit au milieu du désert, possédant chez soi les biens sauvages, on réunit les commodités de la