Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/418

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vie présente que pour rencontrer, malgré nos faiblesses, des occasions d’accomplir avec énergie ce que le moment veut de nous. » Ainsi, employer toutes ses forces à propos, et sans passion comme sans crainte, ce serait être pleinement homme. On a rarement ce bonheur. Quant à moi, je ne l’ai éprouvé qu’à demi dans ces montagnes, puisqu’il ne s’agissait que de mon propre salut.

Je ne pourrai vous rendre compte de l’événement, qu’avec des détails tout personnels : il ne se compose pas d’autre chose.

J’allais à la cité d’Aoste, et j’étais déjà dans le Valais, lorsque j’entendis un étranger dire, dans l’auberge, qu’il ne se hasarderait point à passer sans guide le Saint-Bernard. Je résolus aussitôt de le passer seul : je prétendis que d’après la disposition des gorges, ou la direction des eaux, j’arriverais à l’hospice en devançant les muletiers, et en ne prenant d’eux aucun renseignement.

Je sortis de Martigny à pied par un temps très-beau. Impatient de voir du moins dans l’éloignement quelque site curieux, je marchais d’autant plus vite qu’au-dessus de Saint-Branchier je n’apercevais rien de semblable. Arrivé à Liddes, je me figurai que je ne trouverais plus avant l’hospice aucune espèce d’hôtellerie. Celle de Liddes avait épuisé sa provision de pain, et n’était pourvue d’aucun légume. Il y restait uniquement un morceau de mouton, auquel je ne touchai pas. Je pris peu de vin ; mais, à cette heure inusitée, il n’en fallut pas plus pour me donner un tel besoin d’ombre et de repos, que je m’endormis derrière quelques arbustes.

J’étais sans montre, et au moment de mon réveil je ne soupçonnai pas que j’eusse demeuré là plusieurs heures. Quand je me remis en chemin, ce fut avec la seule idée d’arriver au but ; je n’avais plus d’autre espérance. La nature n’encourage pas toujours les illusions que pourtant