Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/419

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle nous destina. Aucune diversion ne s’offrait, ni la beauté des vallées, ni la singularité des costumes, ni même l’effet de l’air accoutumé des montagnes. Le ciel avait entièrement changé d’aspect. De sombres nuages enveloppaient les cimes dont je m’approchais ; toutefois cela ne put me désabuser à l’égard de l’heure, puisque à cette élévation ils s’amassent souvent avec promptitude.

Peu de minutes après, la neige tombait en abondance. Je passai au village de Saint-Pierre, sans questionner personne. J’étais décidé à poursuivre mon entreprise, malgré le froid, et qu’au delà il n’existât plus de chemin tracé. De toute manière, il n’était plus question de se diriger avec quelque certitude. Je n’apercevais les rochers qu’à l’instant d’y toucher, mais je n’en cherchais d’autre cause que l’épaisseur du nuage et de la neige. Quand l’obscurité fut assez grande pour que la nuit seule pût l’expliquer, je compris enfin ma situation.

La glace vive au pied de laquelle j’arrivai, ainsi que le manque de toute issue praticable pour des mulets, me prouva que j’étais hors de la voie. Je m’arrêtai, comme pour délibérer à loisir ; mais un total engourdissement des bras m’en dissuada aussitôt. S’il devenait impraticable d’attendre le jour dans le lieu où j’étais parvenu, il semblait également impossible de trouver le monastère, dont me séparaient peut-être des abîmes. Un seul parti se présenta, de consulter le bruit de l’eau, afin de me rapprocher du courant principal qui, de chute en chute, devait passer auprès des dernières habitations que j’eusse vues en montant. A la vérité j’étais dans les ténèbres, et au milieu de roches dont j’aurais eu peine à sortir en plein jour. L’évidence du danger me soutint. Il fallait ou périr, ou se rendre sans trop de retard au village qui devait être distant de près de trois lieues.

J’eus assez promptement un succès ; j’arrivai au torrent