Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/424

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nous sommes, nous pourrions séjourner dans un monde meilleur.

Que veux-je ? Espérer, puis n’espérer plus, c’est être ou n’être plus : voilà l’homme, sans doute. Mais comment se fait-il qu’après les chants d’une voix émue, après les parfums des fleurs, et les soupirs de l’imagination, et les élans de la pensée, il faille mourir ?

Et il se peut que, le sort le voulant ainsi, on entende s’approcher secrètement une femme remplie de grâce aimante, et que derrière quelque rideau, mais sûre d’être bien visible, à cause des rayons du couchant, elle se montre sans autre voile, pour la première fois, se recule vite, et revienne d’elle–même, en souriant de sa voluptueuse résolution. Mais ensuite il faudra vieillir. Où sont aujourd’hui les violettes qui fleurirent pour d’anciennes générations ?

Il est deux fleurs silencieuses en quelque sorte, et à peu près dénuées d’odeur, mais qui, par leur attitude assez durable, m’attachent à un point que je ne saurais dire. Les souvenirs qu’elles suscitent ramènent fortement au passé, comme si ces liens des temps annonçaient des jours heureux. Ces fleurs simples, ce sont le barbeau des champs et la hâtive pâquerette, la marguerite des prés.

Le barbeau est la fleur de la vie rurale. Il faudrait le revoir dans la liberté des loisirs naturels, au milieu des blés, au bruit des fermes, au chant des coqs (O), sur le sentiers des vieux cultivateurs : je ne voudrais pas répondre que cela quelquefois n’allât jusqu’aux larmes.

La violette et la marguerite des prés sont rivales. Même saison, même simplicité. La violette captive dès le premier printemps ; la pâquerette se fait aimer d’année en année. Elles sont l’une à l’autre ce qu’est un portrait, ouvrage du pinceau, à côté d’un buste en marbre. La violette rappelle le plus pur sentiment de l’amour ; tel il se présente à des cœurs droits. Mais enfin cet amour même, si