moment de la délivrance était proche ! J’oubliais ceux qui n’oseraient finir volontairement ; les hommes ne leur ont pas au moins permis de mourir. Et nous osons gémir sur nous-mêmes !
LETTRE XI.
Je passe assez souvent deux heures à la bibliothèque ; non pas précisément pour m’instruire, ce désir-là se refroidit sensiblement ; mais parce que, ne sachant trop avec quoi remplir ces heures qui pourtant roulent irréparables, je les trouve moins pénibles quand je les emploie au dehors que s’il faut les consumer chez moi. Des occupations un peu commandées me conviennent dans mon découragement : trop de liberté me laisserait dans l’indolence. J’ai plus de tranquillité entre des gens silencieux comme moi que seul au milieu d’une population tumultueuse. J’aime ces longues salles, les unes solitaires, les autres remplies de gens attentifs, antique et froid dépôt des efforts et de toutes les vanités humaines.
Quand je lis Bougainville, Chardin, Laloubère, je me pénètre de l’ancienne mémoire des terres épuisées, de la renommée d’une sagesse lointaine, ou de la jeunesse des îles heureuses ; mais, oubliant enfin et Persépolis, et Bénarès, et Tinian même, je réunis le temps et les lieux dans le point présent où les conceptions humaines les perçoivent tous. Je vois ces esprits avides qui acquièrent dans le silence et la contention, tandis que l’éternel oubli, roulant sur leurs têtes savantes et séduites, amène leur mort nécessaire, et va dissiper en un moment de la nature, et leur être, et leur pensée, et leur siècle.
Les salles environnent une cour longue, tranquille, couverte d’herbe, où sont deux ou trois statues, quel-