Porte du paradis, par l’absurde habité !
Haschisch[1] libérateur de la réalité,
Délivrez-moi !
Tapis de velours blanc, où marchent cadencées
D’amples processions d’orgueilleuses pensées,
Exaltez-moi !
Flacon, où tournent dans un cerveau de cristal
Les vertiges du musc, de l’ambre et du santal,
Parfumez-moi !
Orgue religieux dont les vastes musiques
Bâtissent dans les cœurs des églises mystiques,
Élevez-moi !
Maison d’or et d’albâtre où les vins généreux
Versent aux vagabonds les espoirs vigoureux,
Hébergez-moi !
Liqueur soyeuse, crème où les fruits et les baumes
Fondent leur bienfaisance et leurs subtils arômes,
Enivrez-moi !
Manne d’amour, agneau pascal, pain sans levain,
Festin miraculeux où l’eau se change en vin,
Nourrissez-moi !
Hamac qu’une exotique et moelleuse indolence
À l’ombre des palmiers rafraîchissants balance,
Endormez-moi !
Jardin officinal[2] aux douces floraisons,
Où croît parmi les lys l’herbe des guérisons,
Guérissez-moi !
Aérostat vainqueur des sublimes nuages,
Nostalgique wagon, berceur des longs voyages,
Emportez-moi !
Livre mystérieux des sibylles[3] coffret
Où dort, loin des savants, maint austère secret,
Instruisez-moi !
- ↑ Narcotique tiré du Chanvre indien (Cannabis indica). Il produit une ivresse spéciale, accompagnée de rêves et d’hallucinations quelquefois délicieux, quelquefois horribles. Son usage habituel mène à la folie.
- ↑ Jardin où croissent les plantes employées dans les officines des pharmaciens.
- ↑ Dans l’antiquité, femmes qui passaient pour avoir reçu d’un dieu le don de prophétie (mot venu du grec (σιβυλλα par le latin sibylla).