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adolphe hardy

La route est là : pourquoi, quand tu n’as qu’à la suivre,
Te donner tant de mal pour rester malheureux ?



La vieille auberge[1].

Sous les monts boisés d’où la lune émerge
Baignant d’or bleuâtre un sentier de houx,
Vers l’étang s’affaisse, entre les joncs roux,
Un paon sur son toit, la vétuste[2] auberge.

L’automne a tendu de fils de la Vierge[3]
Son pampre indocile aux longs sarments fous
Enfeuillant la vase où les crapauds doux,
Dans le clair obscur flûtent sur la berge.

Quel peintre a rêvé plus frappant tableau
Que ce chaume antique allongeant sur l’eau
L’ombre de sa vigne et de ses lézardes ?

Telle une humble vieille au dos harrassé
Mire, au tain lépreux d’un miroir cassé,
Sa face ridée et ses pauvres hardes…



La Rivière[4].

Lasse du bois sévère et de l’ombre tranquille,
La petite rivière, inconstante et futile,
Un double ourlet d’iris à sa robe, a gagné
La plaine où le ciel vaste en elle s’est baigné.
La voilà maintenant libre, heureuse et parée
De tous les clairs bijoux de l’aurore mirée.
Entre les colzas d’or, les foins et le méteil[5],
Son onde pailletée étincelle au soleil,
Prend mille tons changeants de moire qu’on déroule
Et semble un long ruban de lumière qui coule.



Œuvres à lire d’Alexandre Hardy (Fischbacher, éditeurs, Paris) : Émaux wallons (1896), La Route enchantée. — Critiques à consulter : Le Jour, de Verviers (26-27 décembre 1903) ; N. de Prelle, Le Nouvelliste de Verviers (20-21 février 1904) ; Albert Heumann, Le mouvement littéraire belge d’expression française (1913).



  1. Extrait de La Route enchantée (1904).
  2. Détériorée par la vieillesse ; néologisme formé avec vétusté, emprunté lui-même du latin vetustas, vieillesse.
  3. Filandres, produits par certaines araignées et qui voltigent dans l’air, surtout en automne. En allemand, Sommerfäden ; en anglais, a gossamer.
  4. Extrait de La Route enchantée.
  5. Seigle et froment mêlés qu’on sème ensemble (du latin populaire mistilium).