Page:Sensine - Chrestomathie Poètes, Payot, 1914.djvu/690

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Et le cortège allait vers la nuit. — Ô mon âme,
Don Quichotte a vécu, le poème est fini,
Disparais dans le deuil du désir infini ;
Au banquet de l’oubli, voici qu’on te réclame.

Les cœurs sont clos, le ciel est sourd, les temps sont durs.
Ô mon âme, fuyons les hommes et les choses ;
Les doigts lents de l’épreuve ont effeuillé les roses
Et dispersé l’espoir promis aux jours futurs.


Lied.


C’est le temps d’hiver, pauvre cœur ;
Dans le ciel tendu de ténèbres
Flotte un rais de lune moqueur ;
C’est le temps d’hiver, pauvre cœur,
Les glas[1] tintent, lents et funèbres.

C’est le temps d’hiver, pauvre cœur ;
Au lointain, stridentes et brèves.
Des voix graves chantent en chœur ;
C’est le temps d’hiver, pauvre cœur
Qui portes le deuil de tes rêves.

C’est le temps d’hiver, pauvre cœur
Où l’Amour, comme en une tombe.
Gît, tué par le Sort moqueur ;
C’est le temps d’hiver, pauvre cœur :
La neige des souvenirs tombe…


Les mains.


Ô mains que nous avons baisées,
Mains de nos père et mère aux gestes triomphants,
O mains qui sur nos fronts ensoleillés d’enfants.
Tant de fois vous êtes posées !

Nous regrettons les bleus sommeils,
La maison qu’on oublie au bord des eaux limpides
Et qu’emplissaient de vols rythmiques et rapides
L’essaim des mensonges vermeils.

Regrets de la paix coutumière.
Des feuillages, des fleurs, et comme nous pleurons
La mare où nos bonheurs d’enfants faisaient des ronds
Dans la bonne et blonde lumière.

  1. Tintement lent de la cloche d’une église pour annoncer la mort.