Page:Sensine - Chrestomathie Poètes, Payot, 1914.djvu/691

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Main d’une mère, chère main
Jamais lasse de dire à nos chutes : Courage,
Et d’enseigner aux cœurs ignorants de l’orage
Les durs hasards des lendemains.

Main délicate, mais austère,
Main d’une sœur, montrant l’Étoile de la Foi,
À l’heure où l’on pouvait encor sentir en soi
Descendre l’Ange du Mystère.

Ô main d’amour, joug adoré,
Ô caresses vers qui vont les vœux et les craintes !
Nous pleurons la douceur des mots et les étreintes
En qui nos âmes ont vibré.

Un frisson hante nos vertèbres,
Nos pieds saignent, nos yeux sont pleins de cécités.
Nous regrettons le songe envolé, les cités
Dans de magnifiques ténèbres.

Nous pleurons nos vieilles étoiles
Et les enchantements de l’Île et de Thulé[1]
Et la mer adorable où, sous un ciel troublé,
Fuit la grâce blanche des voiles.

Nous pleurons le rêve infini,
La féerie éphémère et les nuits pleines d’astres,
Et nos cœurs à jamais perdus sous les désastres
Des illusions de granit.


L’heure.


Si j’avais dans ma vie une heure, une seule heure.
Où ce cœur, gémissant d’un souffle qui l’effleure,
Eût joui d’un plaisir — si fugace fût-il,
Pour ce furtif instant, pour cette brève joie,
Je reprendrais, moins triste et plus vaillant, ma voie,
Et, puisant de l’espoir en ce bon souvenir,
Je dirais à mon cœur : « Sois fort, tout va finir ! »
Mais j’interroge en vain l’horreur de ma mémoire.
À chaque page, au livre amer de mon histoire.
Un mot s’épanouit comme une rouge fleur :
Malheur ! — et puis Malheur ! — et puis encor Malheur !

  1. Île plus ou moins légendaire, considérée par les anciens comme la plus septentrionale de l’Atlantique européen.