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Page:Serge - Carnets, 1952.djvu/11

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André Gide

Fin novembre 1936, Paris. — Bataille de Madrid, suicide de Salengro, Jean Guéhenno à Vigilance (quel démagogue !). Le Professeur René Maublanc, à la même réunion, pire que démagogue, habile avec un brin de fourberie. Sensation de cafouillage désespérant : il s’agit de sauver l’Espagne. Henri Bouché, rapporteur, ne peut pas dire que l’on envoie des avions — et des intellectuels qui savent qu’on les envoie mais qu’on ne peut pas le dire reprochent à Léon Blum son inactionet et cœtera… En sortant, j’échange quelques mots avec Guéhenno sur le procès de Zinoviev et Kaménev : il ne veut pas prendre position et ne voudrait pas avoir l’air de ne pas prendre position.

Magdeleine Paz me dit que ma lettre ouverte à Gide l’a beaucoup frappée, mais elle estime que j’ai eu tort de la publier, elle a l’air d’une mise en demeure. Je n’y vois aucun mal, dis-je. Les grands intellectuels aiment trop à se défiler à l’abri de phrases nobles, J’ai trop d’estime pour Gide, je n’ai pas le droit de le ménager, il doit comprendre cela. — Mais cette lettre pouvait empêcher son voyage en Russie ! — Eh bien ? — Maintenant, il est tout à fait de votre avis, il faut que vous vous voyiez, mais en grand secret, il ne veut pas que l’on puisse croire que vous l’avez influencé dans l’élaboration de son livre. (A. G. a aussi, semble-t-il, quelque défiance envers moi, jointe à une crainte plus générale du trotskysme qu’il ne connaît que par Pierre Naville : et ses sentiments pour P. N. — qui l’agace — sont partagés.)

M. P. nous arrange un rendez-vous confidentiel ( « Tâchez de n’être pas filé… » ).

Rue Vaneau, un appartement négligé, plein de livres dédicacés,