Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/13

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mais ſans doute la correction n’étoit plus poſſible ; & ceci eſt une fatalité de l’art de l’imprimerie : quand une fois la preſſe a incorporé l’erreur au papier, envain on verſeroit des larmes de ſang pour l’effacer ; ſi vous l’anéantiſſez dans un exemplaire, elle va revivre en deux mille autres. Elle eſt éternelle, ou ne meurt plus qu’avec l’ouvrage entier.

Je n’ai point l’honneur de connoître les éditeurs de Rouſſeau ; mais j’ai vécu dans leur patrie, & je ſais qu’ils n’y ſont pas moins honorés par leur caractère que par leurs talens ; je ſais qu’avec des hommes de cette trempe l’intérêt de la juſtice l’emporteroit ſur celui de leurs propres ouvrages ; & vouloir épurer ceux de Rouſſeau, c’eſt m’aſſocier à leur travail. Je crus donc les entendre me preſſer eux-mêmes d’effacer, autant que je le pourrois, une anecdote diffamante ; & pour cela, je ne voulois d’abord que raconter ingénument ce qui s’étoit paſſé ſous mes yeux entre Rouſſeau & M. Bovier. Malheureuſement cette anecdote n’eſt pas la ſeule répréhenſible dans ſes écrits : j’en trouvai d’autres qui bleſſoient, effleuroient ou menaçoient des perſonnes que j’honore ; enfin je vis ces derniers écrits comme un champ de bataille couvert de bleſſés. La deviſe des premiers ouvrages de Rouſſeau ſeroit ces quatre mots : Tout le monde ſe trompe, & la deviſe des derniers ſeroit ceux-ci : tout te monde m’a trompé.

A la vue de tant de perſonnalités imprimées, je n’ai pu me défendre de quelques réflexions ſur cet étrange abus de l’imprimerie. Ceci m’a conduit à réfléchir auſſi ſur le caractère & le génie de Rouſſeau ;