Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/32

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perſonnages réels & bien connus, la ſingularité même de cette ſignature le Voyageur perpétuel, enfin la poſſibilité que Rouſſeau eût manqué d’argent, lui qui tiroit une espèce de gloire de ſa pauvreté même, tout cela trompa M. Bovier ; & peut-être un peu légèrement ; il écrivit à Rouſſeau retiré, je crois, à Bourgoin, pour lui demander comme dette & comme charité ces 9 francs au nom de Thévenin. On peut juger de l’indignation de cette ame fière, turbulente & ombrageuſe. Rouſſeau accourt de Bourgoin à Grenoble, & ſe confronte lui-même avec Thévenin devant quelques témoins respectables. Il arriva ce que tout le monde avoit déjà prévu : le chamoiſeur, dans le Rouſſeau de Grenoble, ne reconnut plus celui des Verrières. Chacun rit de la mépriſe ; le vrai Rouſſeau, ce me ſemble, pouvoit, ſans ſe compromettre, en rire auſſi, & tout étoit fini. Mais la choſe n’alla point ainſi : le citoyen de Genève, quand il étoit queſtion de lui, ne craignoit point de faire du bruit, & il en fit. Son intention fut viſiblement que cette bulle d’air éclatât comme une bombe.

Il écrivit au commandant de la province une lettre qui devint très-publique ; une copie eſt dans mes mains. Ce qu’il y a de ſingulier dans cet écrit, c’eſt qu’après avoir accumulé conjectures ſur conjectures pour montrer qu’il n’étoit point l’emprunteur des 9 francs, il finit par prouver en quatre lignes ſon alibi le plus net du lieu où ſe fit l’emprunt. Ces quatre lignes ſuffiſoient pour effacer huit bonnes pages.

Je donnerois mille ſermens pour un, que M. Bovier étoit dans cette occaſion, comme dans toutes