Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/35

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faire le mot d’un traître ou celui d’un honnête homme, ou celui d’un homme diſtrait, c’eſt la manière dont ce mot fut prononcé ; un coup-d’œil, un ſourire, un certain ton pouvoit en changer entièrement le ſens ; Rouſſeau n’a entendu, n’a vu M. Bovier qu’au travers des nuages de ſes éternels ſonpçons, & Dieu ſçait ce qu’il a vu & entendu. Ce qu’il y a de certain, c’eſt que la choſe la plus ſimple, diſtillée par cette tête ardente, pouvoit devenir du poiſon.

D’ailleurs, il paroît que Rouſſeau n’a écrit ce fait que longtems après qu’il s’eſt paſſé : or, s’il en eſt ainſi, je demande comment on oſe conſacrer le déshonneur d’un homme ſur la foi de ſa mémoire, & d’une mémoire qui prétend vous retracer ſans erreur ces nuances fines du ton, de l’air, du geſte, & toutes ces circonſtances fugitives qui flottent dans la tête des hommes comme des nuages dans l’air agité.

J’apporte donc pour preuve contre cette accuſation de Rouſſeau, le caractère même de celui qui l’intente, homme atrabilaire, ombrageux, aigri par ſes malheurs qu’il n’imputoit jamais à lui-même, ſemant les ſoupçons outrageans ſur la tête de ceux qui l’environnoient, ſe diſant, ſe croyant un agneau parmi les loups cruels, en un mot, auſſi ſemblable à Paſcal par la vigueur de ſon génie que par la folie de voir ſans ceſſe un précipice à ſes côtés, caractère au reſte, avéré par ſes ouvrages mêmes, & par vingt actions publiques de ſa vie.

J’apporte pour preuve contre l’accuſation le caractère de celui qu’il accuſe, homme jusqu’alors ſans reproche, citoyen eſtimé, père de famille heureux, vivant dans l’aiſance & l’obscurité, deux choſes qui garantiſſent la probité ; homme enfin qui