Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/77

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point à un livre : Qui t’a fait ? Mais ſeulement que dis-tu ? Et quand l’auteur ſe nomme, s’il prétend ne vouloir en cela ſatisfaire qu’un devoir, nul ne s’y trompe, on lui répond : Tu veux contenter deux vanités à-la-fois : celles d’homme d’un grand esprit, & d’homme d’un grand cœur.

Celui qui a le malheur d’écrire des menſonges hardis doit ſe repentir, & ſe cacher, s’il n’a pas le noble courage de ſe rétracter : celui qui a oſé écrire des vérités utiles au Public, mais dangereuſes pour l’auteur, ne doit ſe repentir jamais, mais ſe cacher toujours, s’il eſt ſage, & ſavoir préférer l’ineſtimable repos à quelque peu de gloire périlleuſe. J’accorderai tant qu’on voudra, que le martyre eſt une belle choſe ; mais ſi l’héroïſme eſt de le ſouffrir quand ſon heure eſt venue, aller au-devant eſt orgueil ou folie : qu’on ne ſe plaigne plus alors d’être perſécuté par les autres, mais par ſoi-même : un de nos vieux proverbes dit qu’il ne faut point tenter Dieu ; j’ignore comment les hommes peuvent tenter Dieu ; mais nul n’ignore à quel point il eſt dangereux de tenter les hommes.

Ce décret & ſes ſuites mis à part, vous ne voyez plus dans la vie de Rouſſeau que des malheurs presque tous imaginaires, des chymères travaillées de génie, & des combats à outrance contre ces chymères. En un mot, pour revenir à ma première comparaiſon des moulins à vent pris pour des géans, Rouſſeau ſortoit de ces combats ſi las & ſi recru, que la réalité de la fatigue ne lui permettoit pas de douter de la réalité de l’ennemi ; illuſion bien-facile à com-