Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/78

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prendre, & plus commune qu’on ne penſe. Que la morale dit bien-vrai, quand elle aſſure que nos plus véritables ennemis ſont en nous-mêmes ! Heureuſement, en effet, les hommes ſont trop diſtraits pour s’appliquer à nuire aux autres autant qu’à eux-mêmes.

Je ne veux citer ici qu’un exemple de ces mépriſes du citoyen de Genève ; j’en pourrois rapporter vingt de la même espèce ; d’autres en pourroient dire 100 ; & le tout enſemble, ſans rien prouver contre ſon intégrité, ſa vertu, encore moins ſes talens, prouveroit ſeulement cette vérité fort-ſimple, que Rouſſeau n’étoit ſouvent qu’un fou ſublime.

Parmi ſes prétendus malheurs, l’un des plus frappans eſt ſa fameuſe lapidation de Motiers-Travers. Quoi ! dans la Suiſſe, l’aſyle de la paix, de la liberté, de la ſageſſe, parmi ſes compatriotes mêmes, Rouſſeau risque ſa vie & ſe voit aſſaillir à coups de pierres ! Un fait de cette nature déconcerte toutes les idées ſur notre ſiècle, les mœurs, les lumières d’une partie de l’Europe, & ſur-tout de la partie de l’Europe la plus ſaine & la plus ſage. On fait combien Rouſſeau a fait retentir cette lapidation : avec quelques feuilles de papier & une plume, un homme de génie ſe fait un tambour qu’on entend de bien-loin ; mais ce n’étoit pas aſſez ; le burin s’en eſt mêlé ; & pour aſſurer davantage la durée d’un fait ſi ſingulier dans le dix-huitième ſiècle, on l’a gravé : je n’ai point vu cette eſtampe ; mais j’ai oui dire qu’on y voyoit le paſteur M*** à la tête d’une troupe de forcenés, hommes, femmes, enfans, tous pourſuivant à grands