Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/80

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maître ? On l’a toujours, a ce qu’on aſſure, ſoupçonnée de cette petite espièglerie, qui, de ſa part, n’a rien de bien-coupable, mais qui a mal tourné pour le pauvre genre-humain, accuſé ſi éloquemment par Rouſſeau d’être méchant, même en Suiſſe. Quel homme, au reſte, n’aimera mieux croire la gouvernante de Rouſſeau un peu ennuyée, que des milliers de Suiſſes ſi méchans, forcenés & aſſaſſins ?

Encore un moulin à vent ſans plus : après la lapidation, Rouſſeau fuyant en Angleterre, ſe crut & ſe fit croire ſans aſyle dans notre continent ; & cependant, dès le ſurlendemain de cette miſérable lapidation (dont un autre eût ri de pitié,) ſur le bruit que faiſoit Rouſſeau, une petite ville voiſine envoya exprès des députés pour lui offrir une retraite. Le gouvernement de Neuchâtel, gouvernement très-ſage, prit connoiſſance du prétendu délit, & déclara ſa protection.

J’avoue que je n’ai appris ces choſes que par des témoins que je crois inſtruits & irréprochables ; mais ce que j’ai appris par mes propres obſervations, c’eſt que Rouſſeau eût trouvé cent égides contre une pierre dans un pays où le caractère des habitans & la nature du gouvernement concourent à garantir la paix, la liberté & le bonheur de quiconque ne trouve pas trop d’obſtacles en lui-même pour être heureux.

Au lieu de ſe plaindre avec tant d’excès, Rouſſeau, qui a écrit contre le progrès des lumières, auroit du ſe dire à lui-même : 200 ans plus tôt, dans le tems de l’ignorance, j’aurois été très-véritablement lapidé dans un pays où je ne ſuis au fond qu’admiré & protégé.