Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/79

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coups de pierres un pauvre fugitif, & ce fugitif eſt Jean-Jacques Rouſſeau, qui ſemble demander au Ciel juſtice contre une terre inhospitalière. Après cela, comment douter du fait ? Car enfin, voilà un monument : il eſt du tems, travaillé peut-être ſur le lieu même ; ſeroit-il donc poſſible que même une eſtampe ne prouvât rien ?

Voici ce que j’ai recueilli de ce fait auprès d’un homme digne de foi, qui, par Lazard, fit un viſite à Rouſſeau le lendemain même de ſa lapidation. Il vit encore les cailloux épars ſur le plancher de la chambre : voilà déjà, pour le dire en paſſant, l’eſtampe en défaut ; la lapidation ne ſe fit point en raſe campagne, & l’on conviendra qu’il eſt un peu moins fâcheux de recevoir des pierres quand on eſt bien-clos & bien-couvert. Mais ce n’eſt pas tout : il faut ſavoir d’où elles venoient. Que quelques petits poliſſons ſuiſſes ſe ſoient aviſés de jeter des pierres la nuit contre les vitres & dans la chambre de Rouſſeau, la choſe eſt très-poſſible ; mais certainement ils ne les jetèrent pas toutes : car lorsqu’on en vint à vérifier le fait plus exactement, & qu’on voulut confronter les plus gros cailloux avec les trous par lesquels ils dévoient être entrés, il leur arriva la même choſe qu’à la belette de la Fontaine ; ils ne purent plus reſſortir ; le trou étoit plus petit que ces cailloux. Qui donc les avoit dépoſés là ? Aſſurément ce n’étoit pas Rouſſeau ; il étoit incapable de cette indigne comédie ; mais ne ſeroit-ce point ſa gouvernante, que la vue de la belle nature dans les montagnes de Suiſſe n’amuſoit point autant que ſon