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CYRANETTE

XIII

Quinze jours plus tard, ayant reconduit le docteur jusqu’à la grille du parc, Mr. Wellstone, pâle, soucieux, comme harassé, donne nerveusement ses instructions aux domestiques avant de remonter près de sa femme, laissée à la garde de Mary.

La rechute qui était à craindre a terrassé Liette au retour de sa folle équipée de Plymouth. Et ce soir-là, et toute la nuit, pendant que l’on courait de droite et de gauche après le médecin parti soigner d’autres malades, Robert a dû veiller la chère et imprudente enfant. Brûlée par la fièvre et toute délirante, ne se croyait-elle pas tantôt rue Nézin ou au presbytère de Mâché, tantôt à Paris, pendant le raid des gothas, bu sur le paquebot, au fort de la tempête ? Puis, subitement, sans transition, elle échangeait des propos aigres-doux avec Gerty, pourchassait Pat dans la grande allée d’Oak Grove, ou prenait part à l’explosion d’allégresse qui avait accueilli la nouvelle de l’armistice. Et, bien que tout cela fût aussi décousu, aussi incohérent, aussi absurde que le peuvent être des scènes de cauchemar, Robert n’en était que plus douloureusement affecté quand, penché sur elle, de toute sa tendresse conjugale, il s’efforçait en vain d’endiguer ce flot de propos étranges qu’entrecoupaient de brusques sanglots et des éclats de rire nerveux. Loin de se taire comme il l’en conjurait, elle s’était mise à chanter, non plus de sa jolie voix de soprano, d’une petite voix fêlée, lointaine, comme réduite à un filet et qu’une quinte de toux, un râle achevaient parfois de briser. Et c’était tout son répertoire qui y avait passé par bribes et par morceaux, depuis le « Petit Pioupiou » du concert de charité jusqu’à