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CYRANETTE

ce délicieux « Noël » d’Augusta Holmès qu’elle rappelait récemment à Nise, mais qui, nasillé ainsi, par cet organe de ventriloque, dans cette lugubre nuit de novembre, au fond de ce vieux manoir battu par la pluie et le vent, détonnait à faire mal :

Trois anges sont venus ce soir
M’apporter de bien belles choses…

Un air surtout revenait en leitmotiv, lancinant, obsédant comme une hantise, l’air alerte et triomphal de cette Madelon dont la vogue s’étendait à l’Angleterre et que, l’autre jour, en plein Plymouth, dans les rues débordantes d’une foule ivre de joie, elle s’était mise à reprendre de toutes ses forces, dix fois, cent fois, jusqu’à épuisement :

Quand Madelon vient nous verser à boire…

Elle a déliré ainsi durant des heures et des heures, et délirait encore à l’arrivée tardive du médecin dont les remèdes n’ont réussi qu’à couper sa fièvre, car depuis lors, sous l’œil impuissant de Robert, atterré de la marche rapide, implacable, du mal, elle n’est pas sortie d’une prostration, d’une atonie plus effrayantes peut-être que son délire.

Pourtant, ce matin, quand son mari est allé reconduire le docteur, elle semblait moins déprimée. Et il se peut que ce ne soit là que ce mieux qui, si souvent, prélude au pire, mais à peine les deux hommes ont-ils eu quitté sa chambre qu’elle a ouvert des yeux dont la flamme naguère vacillante, comme éteinte, paraît se raviver. Pénétrée d’une douce langueur, d’une sorte de béatitude, elle a regardé un moment autour d’elle et s’est vue esseulée dans son grand lit bas, tendu de rideaux blancs, jusqu’où se glisse un jour moins terne que d’habitude. Par extraordinaire, en effet, le soleil a percé. Il épanche sa douceur d’arrière-saison sur les chênes presque dépouillés du parc. Il caresse les vitres encore emperlées de gouttes scintillantes