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LES APOCRYPHES.

d’Hamlet qui, jusque-là, avait été la propriété exclusive de la troupe du lord chambellan. C’est ainsi que Titus Andronicus, joué le 23 janvier et le 6 février 1594 par la seule troupe du lord amiral, fut repris le 5 juin au profit des deux compagnies réunies. Le journal du chef de troupe Henslowe, à la page 35, mentionne expressément cette reprise, et c’est pour cette circonstance, il y a tout lieu de le croire, que Titus Andronicus fut remanié par Shakespeare. La troupe du lord chambellan, ayant alors un intérêt direct à rajeunir la vieille popularité d’un ouvrage qui traînait depuis neuf ou dix ans sur tous les tréteaux de la capitale, dut charger son poëte spécial de cette rénovation délicate, et le poëte dut se résigner à la tache qui lui était en quelque sorte imposée par les circonstances. Shakespeare remania donc généreusement ce drame misérable dont la donnée répugnait à son génie, et par un coup de plume magnanime le voua à l’immortalité.

Il faut être étrangement aveuglé, en effet, pour ne pas reconnaître dans Titus Andronicus la retouche souveraine du maître. Cette retouche est à peine distincte, j’en conviens, dans les cinq premières scènes, mais elle éclate déjà dans le monologue de Marcus courant après Lavinia violée, et dès lors elle suit le drame de péripétie en péripétie jusqu’à la scène X, effleure la scène XI, omet la scène XII, et pour la dernière fois reparaît superbe dans ce tableau où Tamora se présente, comme le spectre de la vengeance, à la porte de Titus désespéré. Certes un ouvrage aussi magistralement révisé avait droit de fixer l’attention de la postérité, et, quoi qu’en disent Malone et Johnson, Héminge et Condell ont eu parfaitement raison d’insérer dans l’in-folio de 1623 ce Titus Anctronicus auquel Shakespeare avait si certainement collaboré.

Est-ce à dire qu’on puisse placer Titus Andronicus à la hauteur des compositions incontestées du maître ? Loin de