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LES APOCRYPHES.

cipale, en ne réservant à son inspiration personnelle que le prologue et le dénoûment de cette action ? S’imagine-t-on le génie suspendant arbitrairement son souffle au milieu même de l’œuvre qu’il a prétendu vivifier ? — Toutes ces objections, si concluantes qu’elles paraissent, tombent devant une simple hypothèse qui nous est suggérée par la tradition du dix-septième siècle. D’après cette tradition, Shakespeare aurait laissé en mourant le manuscrit inachevé des Deux nobles Parents, et ce manuscrit inachevé aurait été complété par Fletcher après la mort de Shakespeare. Toutes ces invraisemblances, qui provoquent les doutes de la critique, sont dissipées par une explication si simple. Shakespeare, sur la fin de sa carrière, a choisi pour sujet de drame l’antique fable de Palémon et Arcite. Déjà tous les personnages et toutes les situations se dressent devant son imagination avec le relief saisissant de la réalité ; l’ouvrage est tout fait dans le cerveau du poëte, il n’y a plus qu’à l’écrire ; Shakespeare s’approche d’une table, et jette sur le papier les premières et les dernières scènes. Loin de lui la pensée d’appeler un collaborateur ! A-t-il eu besoin d’un coup de main pour terminer son colossal Hamlet ? À d’autres ces faiblesses ! Shakespeare veut achever seul la besogne que seul il a entreprise. Mais au moment où il va poursuivre sa lâche, au moment où il va relier par les scènes centrales le commencement et la fin du drame rêvé, la mort le frappe et lui arrache la plume. Que se passe-t-il alors ? Le manuscrit, resté sur la table du glorieux défunt est remis, tel quel, à la Compagnie des Serviteurs du roi qui a acquis le monopole des pièces du maître. La Compagnie transmet ces feuillets épars à Fletcher et charge celui-ci de terminer le travail incomplet. Certes, si quelqu’un est capable de mener à fin cette tâche, c’est bien Fletcher, le meilleur élève du maître, Fletcher, ce poëte ingénieux et élégant qui a de tout temps pris Shakespeare pour modèle et qui a su si bien