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INTRODUCTION.

d’Antiochus, fuyant de contrée en contrée la vengeance du despote, sauvant le peuple de Tharse de la famine, et conquérant dans un tournoi chevaleresque la main de Thaïsa, sont présentées dans cette forme timide et un peu guindée qui trahit l’essai du jeune maître. Là, le vers, plus lyrique que dramatique, y multiplie ces rimes croisées qui caractérisent les plus anciennes compositions de Shakespeare, notamment la Comédie des Erreurs, Peines d’amour perdues, Roméo et Juliette, le Songe d’une Nuit d’été ; il manque de familiarité et de souplesse ; avare de rejets, il asservit incessamment la phrase à sa coupe harmonieuse, mais un peu monotone. On reconnaît à ces signes qu’il date de cette époque où la muse adolescente n’a pas encore trouvé son verbe définitif. En revanche, à partir du moment où surgit la gracieuse création de Marina, le dialogue est transfiguré. Dans la belle scène qui nous montre Périclès éploré, serrant sa fille dans ses bras et jetant à la vague furieuse sa femme inanimée, dans ces tableaux d’une réalité formidable qui nous font voir Marina défendant son auguste pudeur contre les ruffians du lupanar, dans ce dénoûment si justement célèbre où l’orpheline retrouve son père, où le veuf ressaisit sa femme, nous n’entendons plus que la grande parole de Shakespeare. Voilà bien cette prose énergique, concise, imagée, pittoresque, qui exprime si bien l’ironie d’Iago, l’humour de Falstaff, et la mélancolie de Jacques. Voilà bien ce vers large, libre, affranchi de la rime, assujetti à l’inspiration, assoupli au rejet, prompt à l’ellipse, avide de métaphores, qui rend si magnifiquement toutes les pathétiques émotions du Conte d’hiver et du Roi Lear. Ce que dit Marina renaissant pour son père, ne serait pas mieux dit par Cordélia. Ce que dit Thaïsa ressuscitant pour son mari, ne serait pas mieux dit par Hermione.

Si donc je puis affirmer, avec M. Knight, que Périclès a été écrit tout entier par Shakespeare, à deux époques di-