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CENT DIX-HUITIÈME HISTOIRE TRAGIQUE DE BELLEFOREST.

venue à l’âge de quatorze ans, en tant qu’après que Lycoris et sa nourrice étant mortes, bien que Lycoris eût ôté la fille de l’opinion qu’elle avait d’être issue de Stragulion et Dionysiade, son épouse, vivait-elle comme telle, et ils la tenaient comme leur enfant, mais elle devenant triste, et pour n’avoir jamais vu ni père ni mère, ayant perdu ses gouvernantes et nourrices, elle allait souvent visiter leur tombeau, qui était près le havre, hors les portes de la ville. De cette sienne piété chacun concevait grande espérance que cette fille serait un jour quelque support des affligés, et pour ce les citoyens lui faisaient honneur beaucoup plus qu’à la fille de Dionysiade qui allait avec elle. De cette piété procéda le malheur de Tharsie, en tant que la femme de Stragulion voyant le peu de compte qu’on faisait de sa fille au prix de Tharsie, commença à conspirer sa mort comme celle qui aspirait après le grand trésor, et riches joyaux qu’Apollonie leur avait laissé en garde, tant pour la nourriture et entretien de sa fille, qu’afin que si quelques désastres lui survenaient en mer, il pût avoir là sa rescousse.

Il y avait quinze ans que Dionysiaque nourrissait loyalement cette fille, sans que durant ce temps elle entendît une seule nouvelle d’Apollonie ; et lorsque le temps du retour de celui-ci approchait, et que la fille était en sa perfection de grâce, savoir, beauté et gentillesse, qu’elle était sur le point d’être récompensée d’une si belle et glorieuse nourriture, elle obscurcit ses vertus passées par un forfait détestable, violant déloyalement les saints droits et devoirs de l’hospitalité. Car elle corrompit un sien vilain et fermier, avec une bonne somme de deniers, à ce qu’il allât conduire Tharsie ou qu’il la suivît et guettât lorsqu’elle allait faire ses regrets sur le tombeau de ses nourrices, et que là l’occît sans en avoir compassion. Cet esclave fit grande difficulté d’exécuter un acte si méchant, mais voyant qu’elle lui promettait son affranchissement et une telle somme d’argent il élargit sa conscience, bien