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APPENDICE.

qu’il sût combien, et Stragulion, et la cité de Tharse, étaient tenus et obligés à Apollonie père de cette fille.

Comme la fille était sur le tombeau de Lycoris, et que là elle invoquait les dieux, et souhaitait le retour de son père, voici l’esclave qui la saisit aux cheveux, et l’entraîna vers la mer pour l’occire et la jeter dans les ondes. Et quelques prières qu’elle sût faire, ne put-elle fléchir le cœur de ce barbare, arrêté en cette sienne délibération d’obéir à sa maîtresse au prix du sang innocent de cette belle princesse : seulement elle obtint un peu d’espace pour prier les Dieux, et se plaindre à son père absent, et pour pleurer sur les misères de sa condition. — Ah ! Dieux immortels, disait-elle, qu’ai-je commis contre vous, qu’il faille que je sois à présent la victime pour apaiser votre courroux si longuement continué sur la maison de mon père ? Hélas ! sainte Déesse, mère aux deux clartés célestes, souviens-toi que tu as été fugitive, et vagabonde, et aide à présent à la fille d’un prince errant de douleur, et le sang de tant de princes, la mémoire desquels défaillira en moi, qui suis leur héritière. Ha ! Neptune, et vous Dieux marins, que ne détournez-vous cette main cruelle de la chair vierge de la fille de celui que si longtemps vous détenez dessus vos ondes ?

À ce cri sortirent quelques pirates courant le long de cette côte, et qui avaient pris terre à l’abri d’un gros rocher là auprès pour découvrir proie : lesquels voyant l’esclave prêt à donner le coup de la mort à Tharsie, lui crièrent que sur la vie il ne passât plus outre, et que ce butin leur appartenait, comme étant plus séant en leurs mains, qu’à le voir servir de passe-temps à sa cruauté et barbarie : le vilain, oyant cette voix et voyant des hommes armés, quoiqu’éloignés de lui, s’enfuit en la ville, et fit entendre à sa maîtresse qu’il avait occis la fille, et jeté son corps en la mer, et la requit de l’affranchir, suivant la promesse par elle faite.