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INTRODUCTION.

l’humble maisonnée d’Henley-Street, à Stratford-sur-Avon, et je vois d’ici l’enfant sublime, inspiré par cette pathétique lecture, se hâtant de jeter sur le papier les premières scènes d’un drame improvisé.

Je ne nie pas qu’Arden de Feversham, par la simplicité même de l’intrigue, diffère essentiellement de la plupart des pièces authentiques de Shakespeare. Mais cette simplicité, inhérente au sujet, devait faciliter le premier essai d’un auteur novice, et d’ailleurs la réalité historique imposait ici son cadre rigide à l’inspiration poétique. L’hypothèse qu’Arden de Feversham est la conception primitive de Shakespeare, me paraît donc parfaitement vraisemblable. Si maintenant j’examine l’œuvre en détail, la vraisemblance grandit à mes yeux presque jusqu’à l’évidence. Je découvre à chaque instant maintes expressions, maintes locutions, maintes pensées devenues familières à Shakespeare. L’auteur d’Arden de Feversham prodigue les allusions à l’antiquité classique et aux superstitions du moyen âge, que nous remarquons dans les ouvrages incontestés du maître. Il vante, avec l’admiration irréfléchie d’un écolier, cet Ovide à qui Shakespeare emprunte l’épigraphe de son premier poëme, Vénus et Adonis. Il parle de cette « folie de Midsummer, » qui doit présider au Songe d’une Nuit d’été. Il mentionne même ce personnage étrange que le chantre de la Tempête nous montre errant dans la lune chargé d’un fagot d’épines. — Ce n’est pas seulement par certaines particularités frappantes, c’est par de réelles beautés qu’Arden de Feversham rappelle le grand poëte anglais. L’esprit shakespearien, l’inimitable humour qui doit animer tant de créations bouffonnes, semble s’essayer dans cette pièce, et souvent le coup d’essai est un coup de maître. Je ne sache rien de plus magistralement pittoresque, par exemple, que ce croquis d’un brigand : « Un drôle à la face maigre et grimaçante, au nez